Des mots comme des pierres, lancés sans y penser,
"Ma chérie, ce hamburger va sur tes hanches rester."
Vingt-trois ans, le regard maternel la transperce,
Sylvie* avale sa honte avec chaque bouchée amère.
Ces phrases innocentes tissent des chaînes invisibles,
Adolescente affamée devenue cible facile.
Les compliments pleuvent quand son corps s'efface,
Pendant que les médecins murmurent "anorexie" à voix basse.
Son corps devient un champ de bataille sans merci,
Alternance cruelle entre famine et boulimie.
L'estomac vide, puis trop plein, puis purgé en cachette,
Cycle infernal d'une guerre qui jamais ne s'arrête.
À quarante-cinq ans aujourd'hui, l'ironie est cruelle :
Ce corps tant combattu se venge à sa manière.
Métabolisme brisé, insuline résistante,
La ménopause transforme chaque calorie en sentence.
Toute une vie à craindre ce qui finalement arrive,
Un corps qui stocke maintenant tout ce qu'il reçoit.
Diabète de type 2, épuisement chronique,
Le prix à payer pour cette obsession tragique.
Dans mon cabinet, elle arrive en dernier recours,
Épuisée par les régimes, par les échecs toujours.
"Je ne comprends pas," dit-elle, "je ne mange presque rien."
Son corps crie famine depuis si longtemps qu'il retient.
"Votre corps n'est pas l'ennemi," je lui explique doucement,
"Il se protège comme il peut de ce long tourment.
La nourriture n'est pas qu'un nombre sur une balance,
C'est votre doudou émotionnel, votre défense."
Sous hypnose profonde, nous explorons ensemble
Ces moments où les mots maternels ressemblent
À des verdicts gravés dans sa chair d'enfant,
Transformant chaque repas en combat permanent.
Je l'accompagne à travers le labyrinthe obscur
De ses émotions enfouies sous des couches de murs.
"Ressentez la tristesse sans chercher à la noyer,
La colère sans l'étouffer, la joie sans la gâcher."
Face aux défis uniques de la périménopause,
Je lui montre comment son corps se métamorphose.
"Ces changements demandent de nouvelles stratégies,
Non pas des restrictions, mais une autre harmonie."
Séance après séance, Sylvie réapprend à s'écouter,
À distinguer faim physique et faim d'anxiété.
La nourriture redevient lentement nourriture,
Non plus réconfort, punition ou torture.
Le jour où sa mère commence encore ses remarques,
Sylvie établit pour la première fois ses frontières claires :
"Je t'aime, mais mon corps n'est plus sujet de conversation,
Ni mon assiette, ni mon poids - c'est ma décision."
Je la vois s'épanouir, séance après séance,
Retrouver avec son corps une alliance.
"La guérison n'est pas dans le poids idéal,"
Lui dis-je, "mais dans cette paix intérieure vitale."
Dans mon cabinet défilent ces femmes blessées,
Par des remarques dont personne ne mesure l'impact.
J'accompagne leur voyage vers une liberté nouvelle,
Où manger n'est ni combat ni querelle.
La plus belle victoire de Sylvie aujourd'hui ?
Ce n'est pas son corps changé, son métabolisme rétabli.
C'est ce simple moment où, face à une assiette,
Elle ressent enfin ni peur ni défaite.
Juste le plaisir simple, presque oublié,
De nourrir son corps sans le juger.
Un acte d'amour envers soi-même,
La fin d'une guerre, un nouveau poème.
*Prénom modifié pour respecter la confidentialité